acte III de la décentralisation : le féodalisme modernisé

Ce texte est paru sur le site internet de la Fédération Sud Collectivités Territoriales


tract fédéral

Le gouvernement veut faire adopter, par un simple débat parlementaire, une loi dite de décentralisation qui modifiera profondément l’organisation territoriale française. Il reprend et aggrave la loi Sarkozy de 2010 sur la décentralisation. Cette loi est actuellement étudiée au Sénat. Le débat citoyen est confisqué alors qu’il s’agit d’une transformation importante de notre bien commun : le service public.

L’affichage politique - modernisation de l’action publique, lisibilité en mettant fin au fameux « millefeuille » - est un prétexte. En fait, il s’agit de la traduction des politiques libérales de la commission européenne qui prônent la concurrence comme valeur unique.

Ce texte ne tombe pas par hasard. Il est dans la droite ligne du pacte de stabilité européen et de la modernisation de l’action publique de Hollande qui fait elle-même suite à la RGPP Sarkozienne. Le cap est fixé : des économies drastiques pour les services publics, particulièrement territoriaux (60 milliards d’économie sur le quinquennat dont 10 milliards par an sur les collectivités territoriales). Cette loi comprendra trois textes. Son premier volet : la métropolisation.

La décentralisation a accompagné l’affaiblissement de l’État, garant de l’égalité des citoyens sur le territoire. Elle a renforcé des baronnies locales et leurs politiques clientélistes. Selon eux, ce troisième acte devrait rapprocher les décisions des populations et prendre en compte les spécificités des territoires. En réalité, il recentralise, par le biais des métropoles, le pouvoir local au profit des grandes villes.

Bref, des baronnies s’effaceront au profit de duchés. Voilà qu’ils ont inventé la république féodale !

En gros, les actuelles communautés urbaines vont être transformées en nouvelles intercommunalités, les métropoles. Des missions de l’État, de la Région et du Conseil général seront rajoutées en plus des compétences actuelles transférées des communes membres.

Ces énormes super Établissements Publics de Coopération Intercommunale (EPCI) administreront de plus en plus de domaines sans qu’aucun contrôle démocratique direct ne puisse être exercé par le citoyen. Ces entités bureaucratiques seront livrées au marchandage politicien (rétablissement des privilèges pour le duc et sa cour) et à la loi du plus fort (les grandes villes décidant pour les plus petites et périurbaines).

Le transfert de compétences, obligatoires ou pas, des conseils généraux vers les métropoles affaiblira l’équilibre entre urbain et rural et accentuera le pouvoir exorbitant des maires des grandes villes.

Pour les libéraux, il faut réduire les dépenses publiques en mutualisant, rationalisant par la fusion des services, en organisant leur disparition grâce à la privatisation.

Les métropoles, censées être économiquement attractives par leur mise en concurrence, créeront de fait, en dehors de ces « territoires privilégiés », de véritables déserts ruraux ou à proximité des grandes villes. Ils veulent la fin de la solidarité entre les territoires par l’affaiblissement de la péréquation des ressources, la relégation des populations économiquement exclues.

La communication autour de ce texte - collaboration entre les territoires, projets communs, complémentarité, partenariat - masque les réels enjeux. Les propos de Jean Marc Ayrault dans la Gazette des Communes du 16 avril 2013 démontrent le contraire : « le but c’est la mutualisation et l’économie (…). Cette réforme poussera à la rationalisation (…). A terme, l’idée est de s’inspirer de l’exemple lyonnais, c’est-à-dire de mutualiser et fusionner au maximum (…). L’objectif est la stabilisation des dépenses d’action sociale dans les Départements ».

Ne nous trompons pas, l’enjeu est de taille ! Les conséquences sur les citoyens mais aussi sur les personnels territoriaux seront lourdes !
Le service public est notre bien commun ... il nous appartient ! Il est le fondement de la solidarité ! Défendons-le ! Emparons-nous du débat !

MUTUALISATIONS : le piège à cons des fusions de service

Un des objectifs de la loi de décentralisation, selon Jean-Marc Ayrault, est la mutualisation des services entre collectivités. Des mutualisations ont déjà commencé depuis quelques années. Sont concernés en général les services « supports » (DRH, service social du personnel, services achats, maintenance et sécurité, services informatiques etc.).

Les premières constatations dans les secteurs mutualisés montrent des agents perturbés et désorganisés, des risques de perte d’emplois publics, des conditions de travail qui se dégradent (tensions entre agent, stress, souffrance au travail, management par la terreur etc.), opacité et augmentation des procédures, des liens hiérarchiques plus nombreux et sans cesse plus opaques.

Mais la loi de métropolisation va accélérer un processus déjà existant. Par exemple, le transfert de la compétence des routes (ex-DDE) du conseil général aux métropoles entraînera une fusion avec les services voiries des communautés urbaines. Il ne fait aucun doute que nos employeurs en profiteront pour faire des économies en supprimant des postes ! Les pouvoirs publics avancent qu’ils mettent en place ces mutualisations pour améliorer et simplifier.

En réalité, l’unique objectif est la suppression de postes et les économies budgétaires sur notre dos.

ACTE III DE LA DÉCENTRALISATION : mutation d’office, inégalité de salaire, suppression d’emploi, perte d’acquis sociaux

Cette loi prévoit des transferts de missions, de locaux et d’agents des municipalités, des conseils généraux, des conseils régionaux et de l’État vers les métropoles.

Il ne faut pas oublier que nous sommes titulaires de notre grade et pas de notre poste. Les transferts de services se feront d’autorité et les agents n’auront aucun choix.

La seule négociation se fera entre élus. Il n’y a aucune garantie que tout le monde soit pris et donc, il existe de forts risques que certains d’entre nous voient leur poste supprimé. Dans ce cas là, la loi de mobilité s’exercera et les centres de gestion pourraient se transformer en véritable pôle emploi pour les fonctionnaires territoriaux.

Pire encore, les contractuels, CDI ou CDD, seront la variable d’ajustement de cette politique. Pour les CDD, il suffit d’arrêter les contrats. Pour les CDI, l’absence de règle statutaire rend leur licenciement plus facile que dans le privé. Enfin, les politiques de restriction de l’emploi public à l’État, élégamment appelés RGPP sous la droite et MAP sous la « gauche », commencent dans la territoriale. La métropolisation est une bonne occasion de l’accélérer. Les départs à la retraite non remplacés sont l’avenir qu’ils nous préparent.

La loi prévoit que les personnels transférés le sont avec leur régime indemnitaire. Mais rien ne prouve que ces dispositions soient maintenues dans le temps. La constitution de services mutualisés ou fusionnés entraîne une différence de salaire entre agents provenant de différentes collectivités.

Nous pouvons parier que, à terme, le nivellement se fera par le bas, toujours pour faire des économies sur notre dos.

Enfin, les agents travaillant dans les services « supports » ne sont pas pris en compte dans cette loi. Si une collectivité transfère des centaines d’agents vers la métropole, il est certain que cela amènera des suppressions de poste dans ces services.

MÉTROPOLISATION rimera avec privatisation

En effet nous constatons que dans nos collectivités des privatisations ont commencé prenant la forme de délégation de service public.

Avec cette loi, les secteurs les plus rentables pour les entreprises privées seront en danger de privatisation car la métropolisation va concentrer tous les pouvoirs entre les mains des grands barons locaux. Et ces nouvelles féodalités se conformeront aux directives européennes de Mr Barroso qui impose à la France, comme à tous les pays européens, une ouverture des marchés publics à la concurrence. Les services comme ceux des eaux et des transports (déjà fortement privatisés), ceux de la voirie, des espaces verts, de la restauration scolaire, des personnes âgées sont autant de missions à dépecer.

Après avoir rimé avec privatisation, il y a fort à craindre que métropolisation rime avec boite à pognon et corruption.

NI DÉMOCRATIE CITOYENNE ni démocratie sociale !

D’évidence, le gouvernement, comme celui d’avant, veut privilégier les intercommunalités. L’achèvement de la carte de l’intercommunalité - de gré ou de force, les communes devront adhérer à une structure intercommunale - a vidé les communes de toutes leurs substances. Le transfert de compétences des conseils généraux vers les métropoles entament le déclin des départements.

Cette profonde modification se fait sans débat citoyen, c’est l’évidence. Mais il faut rajouter un véritable déni de démocratie : les intercommunalités ne sont pas élues au suffrage universel, faisant de ces instances des superstructures sans contrôle en dehors de celle exercée par l’exécutif de la ville la plus importante. En démantelant les institutions issues de la Révolution française (communes et départements), la France s’adapte aux nouvelles normes libérales. Et, en refusant de rendre leur désignation au verdict des urnes, elle reproduit la pire des formes antidémocratique promulguée par cette Europe qui n’est pas la nôtre.

D’ailleurs, conscient du danger, le gouvernement n’a pas pris la décision ultime, la plus claire qui aurait été de créer les métropoles comme des collectivités territoriales de plein droit, préférant garder la forme d’établissement public de coopération intercommunale. En effet, il fallait pour cela modifier la constitution soit par un vote de la représentation nationale, soit par référendum. Dans les deux cas, le risque d’un refus mettait en danger tout son plan. Ils se sont donc assis sur la démocratie, éloignant une fois de plus la perspective d’une démocratie locale.

De la même manière, les représentants des agents territoriaux sont exclus du débat en amont – le gouvernement n’a tenu aucun compte de l’avis négatif du conseil supérieur de la fonction publique territoriale – et ils seront tenus à l’écart des négociations pour les transferts de compétences.

Cette loi nous la récusons non seulement sur le fond mais aussi sur la manière de la négocier qui est profondément antidémocratique.